Animale de Emma Benestan: Une agréable surprise féministe
- Lilou Gaillourdet
- 11 déc. 2024
- 4 min de lecture
Animale de Emma Benestan n’est pas le film sur lequel on aurait parié, et pourtant ! Au commencement du long métrage, on peut facilement être réticents quant à la capacité du film à nous plaire, surtout si nous ne sommes pas adeptes des courses camarguaises et des pratiques impliquant des animaux. Cependant, certains à priori sont petit à petit levés durant le film, qui plonge les spectateur.ices au cœur de ce sport. Le masculinisme ancré dans les coutumes de cette discipline et le sexisme à peine dissimulé des hommes qui la pratiquent envers le personnage principal, Nejma, sont très bien représentés à l’écran. Ces personnages masculins sont d’ailleurs assez simples à cerner : des hommes comme on en croise tous les jours, des camarades qui s’avèrent plutôt sympathiques mais qui ne manquent pas une occasion de faire de petites remarques désobligeantes et de participer au sexisme banalisé; rappelant aux spectatrices ce à quoi elles doivent faire face au quotidien. On peut notamment penser à la séquence dans les vestiaires, où Nejma se prépare pour sa première course, et reçoit plusieurs blagues à son égard dont celle d’un coureur qui lui demande si elle s’apprête à défiler lorsqu’elle s’attache les cheveux. Il faut également saluer le fait que l’homophobie de ce milieu soit abordée dans le film bien qu’elle ne soit pas au centre de celui-ci. Cette homosexualité qui s’avère finalement ne pas être un problème (du moins pour les personnages au courant) est plaisante à voir et vient briser le côté conservateur jusqu’à présent attribué à l’environnement des courses camarguaises.

Le scénario est écrit de manière plutôt maligne. La transformation de Nejma en taureau arrive avec ses gros sabots (si vous me permettez le jeu de mots), tout le monde s’y attend. En réfléchissant un peu, il est possible de deviner ce plot twist rien qu’avec le synopsis, le nom du film (animale au féminin) et le genre fantastique. C’est pourquoi, dès le début du film, nous pouvons noter de nombreux éléments de foreshadowing. Pour n’en citer que quelques-uns : les spectateurs ont pu apercevoir Nejma porter des cornes de taureau à sa tête ainsi qu’imiter l’animal durant son entraînement avec son ami. Elle porte toujours du rouge (couleur associée au taureau), ou encore lorsqu’elle discute avec son employeur et que ce dernier lui dit qu’elle ressemble à un veau quand elle lui répond par « mmh ». Cette révélation de Nejma le « taureau-garou de Camargue » était donc en tous points prévisible. Cependant, c’est bel et bien la raison pour laquelle le scénario est réfléchi : les spectateur.ices se concentrent totalement sur cet élément du film ce qui laisse la possibilité au deuxième plot twist de s’installer discrètement. Certain.es l’avaient peut-être deviné, mais de manière générale, on ne s’attend pas à ce que ce film se révèle être un rape and revenge. Ce retournement de situation saisi le spectateur de choc notamment par la façon dont il est mis en scène : un montage à la fois alterné et parallèle entre les flashbacks du viol qui reviennent à Nejma ainsi que les images des coureurs camarguais (dont l’un de ses violeurs) en train de maintenir un taureau au sol afin de le marquer au fer (pratique par laquelle commence d’ailleurs le film). Les raccords regards entre Nejma qui se remémore l'événement, ainsi que sa projection à la place du taureau, ajoutent à la dramaturgie de cette scène et prend les spectateur.ices aux tripes. C’est ce qui fait passer le film d’un navet fantastique prévisible à un rape and revenge original !
Pour finir : le visuel. Il n’y a pas de plans particulièrement marquants à relever si ce n’est celui qui clôture le film, montrant Nejma, nue et pleine de boue, venant tout juste de reprendre sa forme humaine dans un cri de douleur (aussi bien physique que psychologique) tout en rassemblant les taureaux autour d’elle. En parlant de ces bêtes, les plans qui exposent le personnage principal mi-transformé ne sont pas convaincants. La représentation des créatures mi-homme mi-animal dans les films mènent souvent à un résultat décevant voire gênant pour les spectateurs.ices (on peut penser au film Teen Wolf qui hante encore les nuits de certain.es d’entre nous). Sur ce film c’est encore une fois un raté. Certes les effets et le maquillage ne sont pas si mauvais, mais cela conduit tout de même les spectateur.ices à se détacher de l’instant. Le début de la transformation, lorsque Nejma voit ses os se déformer et des poils lui pousser est plutôt réussi. J’ai également aimé lorsque, en partie transformée, elle reprend les mimiques des taureaux, ce qui marque la dissociation avec sa part d’humanité. Mais ce plan est beau uniquement car l’éclairage est tamisé et dissimule ainsi les détails douteux de son visage mi-transformé. En dehors de celui-ci, les gros plans sur son visage de taureau aux traits encore humanoïdes n’apportent rien au film. Au contraire, préserver le mystère quant à sa transformation, la sous-entendre par d’autres moyens aurait davantage participé à l’intensité du long métrage.
En conclusion Animale de Emma Benestan est une bonne surprise : on ne s’attend pas à grand chose en lisant le synopsis, si ce n’est une nouvelle revisite de La bête du Gévaudan*, et on ressort de la séance émotionnellement touché.es par le second plot twist qui donne au film tout son intérêt. Mention honorable à l’actrice principale, Oulaya Amamra, qui délivre un jeu d’acteur réaliste et sans fioritures, laissant ainsi les spectateurs.ices plonger dans son histoire.
* La bête du Gévaudan est le surnom d'un ou plusieurs canidés ayant commis des attaques contre des humains en France entre le 30 juin 1764 et le 19 juin 1767. […] Dépassant rapidement le fait divers, la Bête du Gévaudan mobilise de nombreuses troupes militaires et donne naissance à toutes sortes de rumeurs et croyances à l'époque, tant sur sa nature […] que sur les raisons qui la poussent à s'attaquer aux populations. Wikipédia
Lilou Gaillourdet
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