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Here de Robert Zemeckis

  • Demetrio Speranza
  • 20 nov. 2024
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 29 déc. 2024

La fuite du temps, obsession fréquente des cinéastes contemporains, semble avoir trouvé avec Here, l’une de ses démonstrations les plus lyriques et déchirantes.


Après des échecs critiques et commerciaux comme Sacrées Sorcières et Pinocchio, le réalisateur américain Robert Zemeckis revient sur grand écran. Entre la promesse de renouer avec l’aura de ses grands succès comme Forrest Gump et un dispositif inédit — adapté du roman graphique éponyme de Richard McGuire — que vaut Here ?


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Avant tout, Here se présente comme un film à concept. Dans son intégralité, le film se déroule dans un unique espace aux États-Unis, à travers différentes époques et divers groupes de personnages, avec pour seule valeur de plan un simple plan fixe. Voilà un postulat de départ étonnant qui s’inscrirait bien plus dans du cinéma contemporain alternatif que dans un film hollywoodien post-moderne.


L’étonnement ne s’arrête pas là puisque Zemeckis mobilise plusieurs effets de mise en scène rarement vus au cinéma. Pour capturer l’essence de tableaux issus de différentes époques, le réalisateur de Retour vers le futur a recours à l’incursion de cadres. Ceux-ci servent de transitions entre les époques et confèrent aux plans une sensation de multidimensionnalité. Que ce soit pour s’attarder sur des personnages discutant en arrière-plan d’une scène, un toit qui fuit sous une pluie diluvienne, ou des protagonistes vivant des situations similaires à des périodes opposées, Zemeckis tord le temps et l’espace, et s'amuse avec. Si ce dispositif peut sembler déroutant, il reste pourtant très lisible tout au long du film.


Héritage classique oblige, Zemeckis prend des libertés avec le roman graphique qu’il adapte (qui ne comportait pas de trame principale à proprement parler), en focalisant le récit sur l’histoire de la famille Young, des années 50 à nos jours, celle d’un vétéran de la Seconde Guerre mondiale et de sa femme, puis d’un couple. L’occasion pour lui de réunir, après Forrest Gump, deux mastodontes du cinéma américain, Tom Hanks et Robin Wright, et, par la même occasion, de remobiliser des thèmes propres à son cinéma.


Vous ne serez alors pas étonnés d’apprendre que Here profite de son concept pour passer en revue, comme dans Forrest Gump, quelques moments clés de l’histoire américaine. Cependant, il le fait ici avec la banalité apparente qu’impose un salon de maison de banlieue américaine. Dans Here, il ne s’agit pas de montrer la vie de personnages au destin exceptionnel, mais plutôt de montrer des petites histoires à l’intérieur de la grande. De ce fait, le long-métrage se concentre bien plus sur des bouleversements à l’échelle de ses protagonistes.


Aussi, un salon peut devenir le lieu de rencontres, d’innovations, de naissances, de moments de joie intense ou, au contraire, de tristesse infinie. Épuré, le récit caractérise les enjeux de cette famille de façon concise mais efficace. Par ailleurs, Here souffre quelque peu du déséquilibre qu’impose sa forme kaléidoscopique : certaines intrigues, comme celles des Amérindiens ou de la famille afro-américaine, apparaissent largement caricaturales et sont forcément moins développées que celle de la famille Young.


D’autre part, puisque le film a pour ambition de retranscrire le passage de plusieurs décennies avec un même groupe de personnages, Here a fréquemment recours aux effets spéciaux et à la technologie controversée du de-aging, déjà vue dans des films comme The Irishman de Martin Scorsese. Ainsi, Hanks et Wright peuvent jouer leurs propres rôles dans leur jeunesse. Cette tentative témoigne de l’envie d’un réalisateur - pourtant en fin de carrière - de repousser les limites de son cinéma avec la technologie numérique, quitte à ne pas convaincre son public, comme ce fut le cas avec Beowulf. Aux États-Unis, les effets spéciaux de Here ont été très mal reçus, décrits comme une "catastrophe technique". Pourtant, le résultat s’avère assez convaincant, voire troublant pour certaines séquences qui évoquent la vallée de l’étrange (un phénomène déjà commenté lors du retour de Ian Holm, comédien décédé, dans Alien : Romulus il y a quelques mois).


Par conséquent, quelle injustice pour un film aussi audacieux dans sa forme et sa narration d’être réduit à une sortie en salles en catimini en France et d’être massacré par la critique américaine, tant le résultat final s’avère émouvant.


Rarement le passage du temps aura été traité avec autant de justesse. Ainsi, si ce qui traverse nos vies est fugace, sujet à l’oubli face à nos existences forcément éphémères, le cinéma est l’art qui les immortalise et les rend survivants. Zemeckis et Roth font le choix de capturer l’essence de ces moments de vie, par le biais de plans fixes, et de les encenser dans leur simplicité apparente.


Here est un film sincère, profondément touchant, qui délivre une puissance émotionnelle dévastatrice avec la plus grande humilité qui soit.


[Gaspar Noé affirmait à la fin d’Irreversible que le temps détruisait tout. Zemeckis dirait avec Here, que si le temps ne répare pas ce qui se brise, le travail de mémoire demeure peut-être avec le cinéma.]


Demetrio Speranza

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