top of page

Starlet de Sean Baker : Beyond porn

  • Roméo Champagnat
  • 8 nov. 2024
  • 5 min de lecture

Cela faisait plus de deux ans que j’attendais la sortie de Starlet. J’ai de nombreuses fois regardé la bande-annonce de ce film (ainsi que celle de Prince of Broadway) en me disant, compte tenu de la popularité grandissante de son auteur, qu’il finirait bien par sortir en France. Après tout, si de nombreux cinéphiles français eurent, par exemple, la chance de découvrir à la fin de la décennie précédente Bleeder (1999), le second long-métrage de Nicolas Winding Refn, c’est parce que ce dernier était très populaire à cette époque. Suite à la Palme d’or décernée à Sean Baker, la société de distribution The Jokers Films, profitant du fait que le cinéaste soit au sommet de sa popularité, décide de sortir (à peu près en même temps que Anora) ses quatre premiers longs-métrages, qui n’étaient donc jamais sortis en France. La rétrospective intitulée Sean Baker – les oubliés de l’Amérique comprend, en plus de Starlet, Four Letter Words (2000), Take Out (2004) et Prince of Broadway (2008).


L’attente en valait la peine. Starlet n’est pas le film de Baker le plus abouti (pour moi, cette place revient à Red Rocket, dont la mise en scène frôle la perfection et que je considère comme le meilleur film sorti en France en 2022), mais c’est le plus beau dans la façon dont il traite des travailleuses du sexe. Précisons toutefois que, contrairement à ce que certains pensent, le travail du sexe n’est pas le thème central de toute sa filmographie.


Lorsque je rêvais de voir ce film et que j’en parlais à des camarades, je disais qu’il montrait l’amitié entre une actrice porno (Dree Hemingway) et une octogénaire (Besedka Johnson). Ce n’était pas faux, mais il aurait finalement été plus juste de le dire ainsi : il s’agit de l’amitié entre une jeune femme, Jane, et une octogénaire, Sadie. Contrairement aux autres films de Baker, le métier de travailleuse du sexe du personnage principal n’a peu ou pas d’impact sur le récit. Jane aurait pu exercer une autre profession, et l’histoire aurait à peine changé. Par conséquent, Baker normalise ici le travail du sexe à l’écran, le plaçant, sur le plan cinématographique, sur un pied d’égalité avec les autres professions (la seule différence étant qu’il est difficile d’en parler, comme le montre une scène où Jane évite de dire à Sadie ce qu’elle fait pour gagner sa vie). Jane fait donc du porno, et cela semble lui plaire. Néanmoins, cette activité ne la définit pas. Elle a le droit, comme tous les autres personnages de fiction exerçant divers métiers, de vivre une histoire qui ne soit pas liée à son milieu professionnel. On pourrait résumer la noble intention de Baker ainsi : raconter une histoire sur Jane, pas sur l’actrice porno. D’ailleurs, un spectateur qui n’a pas cherché d’informations sur le film avant de le visionner pourrait ne pas immédiatement comprendre qu’elle est actrice X, car cela n’est explicité qu’après plusieurs dizaines de minutes.



Le métier n’a aucune importance, mais cela ne signifie pas que le secteur est invisible. Ce film comporte plusieurs scènes liées à l’industrie du X et à son fonctionnement. Elles n’apportent pas grand-chose à l’histoire, mais contribuent à cette normalisation du travail du sexe. Lorsque Jane tourne avec le pornstar français Manuel Ferrara, Baker ne montre pas une scène de sexe explicite (les parties intimes sont d’ailleurs floutées), mais la mise en scène d’un acte sexuel bien encadré. Cela démontre un professionnalisme, sans aucune dimension sexuelle. Le but de ce procédé est évidemment de montrer que l’industrie pornographique possède ses propres techniques, comme n’importe quel autre secteur professionnel. Juste après que Jane a terminé son travail, on la voit discuter avec Ferrara et une autre pornstar, Asa Akira, qui tente de raconter une blague salace sur le Capitaine Crochet. Ils rient, discutent, exactement comme des collègues de bureau ou de chantier prenant une pause conviviale. Si ces deux scènes participent à la normalisation du travail du sexe, c’est aussi parce qu’elles sont filmées avec un naturel propre au documentaire, sans intention de juger, mais en recherchant l’objectivité. On ne retrouve des scènes comparables que dans Pleasure (2021) de Ninja Thyberg, qui, du début à la fin, porte un regard extrêmement objectif sur l’industrie pornographique américaine contemporaine, en faisant ainsi l’un des films les plus honnêtes sur ce milieu.


Toujours en lien avec l’industrie du X, il y a une scène qui se déroule à l’EXXXOTICA Expo (l’une des principales conventions porno aux États-Unis) et une autre où il est fait mention de la technique du POV. Ce sont des références très spécifiques qui parleront à l’amateur de porno. On sent que Sean Baker cherche à s’adresser à ce dernier. Le titre Starlet prend alors un sens plus profond, au-delà du fait qu’il s’agit du prénom du chien de Jane (interprété par Boonee, le chien du réalisateur, décédé il y a un peu plus d’un an). “Starlet se  traduit en français par « starlette », qui désigne une petite star ou une star en devenir. Avec le succès qu’elle rencontre, Jane est bien une starlette, donc une pornstar en devenir.En général, lorsqu’on est fan d’une star de cinéma « traditionnel » (par opposition au cinéma pornographique), on s’intéresse à sa vie en dehors des plateaux et des films de fiction. C’est le signe d’une véritable adoration (parfois malsaine). À travers l’histoire de Jane, Sean Baker, toujours à contre-courant, invite l’amateur de porno à percevoir son actrice X préférée comme il percevrait une actrice issue du cinéma traditionnel. Il est invité à s’intéresser à ce qu’elle est entre deux tournages (les conventions ne comptent pas), au moment où le porno cesse. Devant chaque pornstar qu’il retrouve sur un écran, il devrait se dire qu’elle est comme Jane : qu’elle existe en dehors du porno et, surtout, qu’elle a une histoire.


À la fin du générique, nous pouvons lire « Shot in beautiful San Fernando Valley ». La San Fernando Valley est le lieu où l'on tourne des films X à Los Angeles et où vivent de nombreux acteurs et actrices porno. Ainsi, jusqu’à la toute fin du film, Baker continue de témoigner de sa gentillesse et de sa bienveillance envers ceux qui travaillent dans l’industrie du X, ce qui est très touchant. Les différents plans qui montrent la Valley bien ensoleillée rendent cette terre des pornstars magnifique et donnent envie de plonger dans le film et d’y être (d’autant plus en cette période automnale).


Pour finir, ce film de 2012 compte parmi les meilleures sorties en salle en France de l’année 2024 (il est probablement meilleur qu’Anora). Cela signifie également qu'il existe plusieurs pépites du cinéma indépendant américain qui n'ont pas encore traversé l'Atlantique mais qui devraient le faire, comme Safety Not Guaranteed (2012) de Colin Trevorrow, avec Aubrey Plaza et Mark Duplass. On peut encore attendre.



                                                                                                                                                               Roméo Champagnat


Comments


bottom of page