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5 septembre de Tim Fehlbaum

  • Céline Blanc
  • 21 févr.
  • 5 min de lecture

Le 9 janvier 2015, deux jours après l’attentat contre le journal satirique Charlie Hebdo, se déroulait la terrible prise d'otages du magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes.  Lors de cette attaque, nombreux sont les citoyens qui se sont retrouvés devant leurs écrans à attendre l’arrivée de nouvelles informations. Devant le magasin, beaucoup de chaînes de télévisions, accompagnées de leurs journalistes, étaient présentes. Parmi elles, la chaîne d’information en continu BFMTV. À 14h38, l’un de ses journalistes énonce, en direct, les propos suivants : « Il y a une personne, une femme, qui se serait cachée dès le début, dès l'arrivée de cet homme à l'intérieur du supermarché, qui s'est cachée dans une chambre froide, qui s'est réfugiée dans la chambre froide et qui y serait encore, qui serait à l'intérieur de la chambre froide, donc à l'arrière de l'établissement. ». La prise d’otage n’a pris fin qu’après dix-sept heures. Chez les vingt-six otages présents, quatre seront tués, trois clients et un employé, et neuf seront blessés. Après cela, la question s’est posée, BFMTV a-t-elle mis en danger la vie d'autrui lors de cet attentat ? 


Faut-il tout filmer ? Voici une des questions à laquelle tente de répondre Tim Fehlbaum en remontant à la date du 5 septembre 1972, date de la prise d’otages de l’équipe olympique israélienne lors des Jeux de la même année par le groupe terroriste Septembre Noir. Nous suivons dans le film le jeune Geoffrey Mason, tout juste introduit en tant que producteur, souhaitant faire ses preuves auprès de son directeur, Roone Arledge. Il sera désigné gestionnaire du traitement de l’attentat par la chaîne de télévision et sera dès lors confronté à diverses dilemmes entre vœu d’audimat et éthique journalistique. Les spectateurs sont aussi interrogés. Avons-nous réellement besoin de tout voir ?


La tension est de partie durant l’entièreté du film. Chaque scène est marquée par une agitation constante : on court, on se pousse et on se crie dessus. Tous ces mouvements constituent des indicateurs de la pagaille présente à bord d’un bateau sur lequel le capitaine semble en retrait. Les incidents se succèdent, le matériel est défaillant et plusieurs coupures de courant font irruption. Les employés, sous pression, se voient dans la nécessité d’effectuer d’incessants aller-retour en quête de solutions. 



Pour garder le contrôle sur la diffusion, des opérations d’infiltration auront même lieu, ajoutant encore plus de suspense, et parfois d’humour, au film. Mais les difficultés ne sont pas seulement internes à l’équipe. Les accords entre les chaînes sont également compliqués. Il faut rappeler que ABC Sport n’est habilitée qu’à filmer les évènements sportifs, ce qui se déroule sous les yeux de tous dépasse son champ d’action mais l’équipe ne peut pas céder sous la pression de ces concurrents, l’événement est trop grand. 


L’ambiance sonore amplifie cette atmosphère sous haute tension. La bande originale produite par Lorenz Dangel nous plonge dans cet ascenseur émotionnel où se confrontent ambition et choix moraux mais l’on remarquera que ce sont les silences qui accompagnent les scènes décisives du film. Quant à la mise en scène, celle-ci est fidèle à l’époque jusqu’au moindre détail. Pour cela, le crédit peut être attribué à Geoffrey Mason lui-même qui a été contacté par le cinéaste afin de reconstituer le plus fidèlement possible le lieu dans lequel il a pu autrefois travailler. Les images produites par le film se mélangent parfaitement avec les images d’archives, accentuant alors le côté historique et réaliste de l’œuvre.


Le dilemme présent entre la poursuite du vœu d’audimat au profit de la chaîne au détriment de son éthique journalistique constitue un enjeu fort du film. La diffusion en direct de l’attaque du 5 septembre a marqué à jamais l’histoire de la télévision et représente un tournant dans l’histoire de la diffusion en direct. Ce tragique événement aura réuni plus de 900 millions de citoyens devant leur télévision, une audience supérieure à celle présente lors des premiers pas sur la lune de Neil Armstrong qui représentait un peu plus d’un demi-milliard de spectateurs. Mais à quel prix ? La culpabilité constitue également un sujet lors de la séance. La possibilité que la transmission en direct la prise d’otages ait pu permettre à ses commanditaires de déjouer les interventions des autorités ne peut être écartée.


“ “Was that…our fault ?” Silence. Guilt washes over them”.


Lors d’événement dramatique de ce type, il est essentiel de prendre en compte les victimes et leurs proches. Face à un attentat d’une telle ampleur, les journalistes se retrouvent dans l’hésitation entre exposer plus largement les victimes ou les terroristes. La question de la dignité est centrale. Comment représenter les victimes sans les réduire à leur condition de corps meurtris, sans effacer leur individualité ? Selon Vie Publique, « le principe de sauvegarde de la dignité humaine protège toute personne contre les actes dégradants ou inhumains qui pourraient la rabaisser au rang de chose », soit à réduire toute personne à l’objet même de son corps. Il faut ajouter qu’en France, la loi du 15 juin 2000 dispose que la reproduction des circonstances d’un crime ou d’un délit est punie de 15 000 euros d’amende « lorsque cette reproduction porte gravement atteinte à la dignité d’une victime et qu’elle est réalisée sans l’accord de cette dernière ». Pourtant, malgré ces principes, le traitement médiatique oscille souvent entre voyeurisme et invisibilisation. Certains pourraient, pareillement à ma personne, regretter que les noms des morts n’aient pas été honorés en crédit du film mais malheureusement l’Histoire retient plus volontiers les noms des coupables que ceux de leurs cibles. Pour les proches, le poids de l’espoir repose entièrement sur la chaîne de télévision qui constitue leur seul moyen de connexion avec les événements. Il faut à tout prix veiller à porter une immense attention aux mots employés car chacun d’entre eux sera lourd de conséquences.


Le personnage de Marianne Gebhart, interprété par l’excellente Léonie Benesch révélée dans le film La salle des profs (2023), personnifie l’humanité du film mais également l’échec du gouvernement allemand dans la gestion de l’attentat. Cet événement qui devait pourtant réconcilier le pays avec l’Histoire n’a fait que raviver des souvenirs plus que douloureux. Mais comment faire face à un tel ennemi lorsque les moyens nécessaires pour le vaincre ne sont pas engagés ? Alors que les risques étaient plus qu’évidents, aucune police armée n’a été attribuée au village olympique. De plus, pendant l’attentat, ce n’est pas l’armée allemande mais des agents de la police locale non qualifiés par rapport à l’ampleur de la menace qui sont envoyés sur le terrain. Finalement, c’est peut-être la fierté, ce vœu de garder la face devant le monde entier, qui aura guidé l'équipe israélienne vers sa destruction.


“Innocent people died. In Germany. Again. And we failed. Germany failed.”


Plus de quarante ans après les événements de Munich, 5 septembre questionne la place du direct, notamment de l’information en continu. Mais avons-nous appris de nos erreurs depuis ? Les chaînes d’information en continu ont gagné du terrain, pour autant, les mêmes erreurs perpétuent, la rapidité paraît primer sur la vérification, et la quête d’informer le public semble s’être transformée en quête de le divertir. Un constat amer, mais nécessaire.


Céline Blanc


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