top of page

Critique de La Salle des Profs d’Ilkir Çatak: Toile d’araignée en plastique

  • Aristão de Souza Barrozo
  • 20 mai 2024
  • 4 min de lecture
ree

Véritable succès dans son pays d’origine, il n’est pas surprenant que La Salle des Profs représente l’Allemagne à l’Oscar du meilleur film étranger. Ça a été d’ailleurs l’un des éléments principaux de publicité du film : « nous avons de grandes chances d’avoir notre film sélectionné aux Oscars, il est donc forcément bien », argument qui a été confirmé le lendemain de l’avant-première du film et qui va, on n’en doute pas, être encore plus exploité d’ici sa sortie. Mais, si l’argument est fort, est-il juste pour autant ? Les Oscars sont-ils vraiment représentatifs de la qualité du film ?

Le film se déroule dans un collège allemand, dont les professeurs sont troublés par une série de vols d’une main (ou plusieurs) inconnue(s). C’est alors qu’une professeure, Carla Nowak, décide de mener l’enquête et accuse l’une de ses collègues. A partir de là, tout va vite s’accélérer…


ree

 ©if... Productions, Arte, Zweites Deutsches Fernsehen


S’accélérer… mais pour aller où ? Car très vite La Salle des Profs se met à tourner en rond, avec cette excuse de placer une tension de plus en plus grandissante, sans jamais s’attaquer frontalement au sujet, le mettant sans cesse à distance, pour attiser la curiosité du spectateur. Évidemment, on ne saura jamais qui est véritablement à l’origine des vols, et tant mieux en soi, car le film sous-entend tout de suite que tel n’est pas son but. Le but d’Ilkir Çatak avec son long-métrage est justement d’entretenir cette ambiguïté narrative pour mieux démontrer les différents liens sociaux qui lient professeurs et élèves et de faire une réflexion sur la tension et l’hypocrisie qui peuvent les composer. Mais ce qui découle de cette ambiguïté c’est un étrange sentiment d’artificialité, car si elle s’impose très vite, elle se justifie difficilement. Finalement, quel est le but profond d’entretenir la question « Qui a volé qui ? Qui ment ? Qui dit la vérité ? » au-delà d’une critique sociale vue et revue de notre société ? Créer de la tension. Difficile en effet de ne pas penser au maître Michael Haneke et plus précisément à son film Le Ruban Blanc lorsqu’on assiste aux tentatives maladroites d’Ilkir Çatak de tisser des liens contradictoires entre enfants et adultes. Un Michael Haneke… la subtilité de la mise en scène en moins, car le réalisateur autrichien parvient à faire sentir la tension par une construction minutieuse du cadre, du silence et du rapport au spectateur avec les images. À défaut de savoir composer son espace cinématographique, Ilkir Çatak a choisi d’ignorer l’existence du trépied pour guider sans cesse le regard de son spectateur en enfermant ses personnages dans un cadre voyeuriste (ils n’échappent jamais à notre regard, leurs moindres faits et gestes sont surveillés) difficilement justifiable, puisque notre rapport avec ce qu’il se passe n’est jamais questionné. On est là, on regarde, et on est forcé de regarder. Encore heureux que le cinéaste ne soit pas tombé dans le piège de la caméra à l’épaule si chère à des cinéastes médiocres comme les frères Dardenne ou Dolan pour créer un lien artificiel avec ses personnages. Ilkir Çatak, lui, essaye véritablement de les écrire de manière réaliste, et cela fonctionne, mais il manque toujours un peu de subtilité.


ree

 ©if... Productions, Arte, Zweites Deutsches Fernsehen


Revenons à la construction artificielle de la tension. Le principal défaut du film est son incapacité à naturaliser ce qui se passe à l’écran : on n’a jamais l’impression que les évènements arrivent de manière naturelle, mais qu’une sorte de force supérieure les bouscule les uns sur les autres pour justifier le propos du film. Tout le monde sort de la salle de classe, sauf un garçon qui reste assis seul et qui ne répond pas à sa professeure sans trop de raisons apparentes. La tension est certes là, mais ne se justifie pas. Tout est tissé de manière trop artificielle pour parvenir à ce but émotionnel du long-métrage : le vol d’argent aboutit à des accusations, ce qui aboutit à des problèmes pour notre protagoniste qui essaye de se rattraper mais, à la fin, c’est les évènements qui la rattrapent et même la dépassent… Les portes sont claquées, les cahiers sont jetés par terre… Quelle construction linéaire et simpliste de ce scénario ! Scénario qui croit casser trois pattes à un canard mais ne fait au contraire qu’ajouter une couche de tension à d’autres couches de tension sans jamais réfléchir à la nature-même de ce qu’il raconte.


Que faut-il donc retenir de La Salle des Profs ? Pas grand-chose. C’est un film vain, artificiel et oubliable, mais qui se prend pour grandiose (il suffit d’entendre son réalisateur parler), avec une forme monstrueusement plate mais assez subtile pour exciter l’Académie des Oscars et leur manque d’intelligence lorsqu’il s’agit d’apprécier des images. Car, oui, ce film n’est que représentatif de la vision artistique d’une certaine bourgeoisie perchée sur son grand arbre, loin de toute réalité sociale. Ainsi, voir ce film nommé pour l’Oscar du meilleur film étranger alors qu’on boude le très bon Les Feuilles mortes d’Aki Kaurismäki m’attriste beaucoup, mais ne me surprend nullement venant de cette organisation sectaire qu’est la prestigieuse Academy.


Par Aristão de Souza Barrozo


Commentaires


bottom of page