Mars Express: comment réinventer la SF à la française
- Syméon Guillon
- 15 févr. 2024
- 5 min de lecture

S’il se fait connaître timidement sur internet pour ses clips déjantés, Jérémie Périn se fait un vrai nom avec Lastman, un renouveau frappant dans le monde de l’animation pour adultes. Éternel adolescent, il se crée très vite un style nerveux bien à lui débordant d’un humour cinglant, de personnages hauts en couleurs mais surtout d’un ton transgressif plutôt sombre qui diverge avec les récentes propositions françaises animées (Crisis Jung en est le bon exemple, sa dernière mini-série qui brise toutes les frontières possibles en terme d’absurdité sadique). Fin novembre, il parvenait alors avec l’aide de son acolyte d’écriture Laurent Sarfati à s’aventurer du côté des salles obscures et vise enfin à toucher le grand public avec Mars Express, une enquête poignante dans un univers de science-fiction. Fan depuis plusieurs années de son travail, j’étais déjà prenant de ce pari plus qu’ambitieux. Laissez moi alors vous expliquer pourquoi selon moi cette nouvelle création pour « adulescents » se révèle être l’une des plus grosses surprises cinématographiques de cette fin d’année.
Nous sommes ici en l’an 2200 où intelligence artificielle et colonisation spatiale sont des composantes essentielles de notre société et où la tension humains/robots et les courses des corporations cybernétiques font rage. C’est dans ce sombre décor ultra connecté que Aline Ruby, une détective froide et Carlos Rivera, une réplique robotique de son partenaire enquêtent sur la disparation d’une jeune étudiante en cybernétique. Sur Mars, les humains et robots vivent en communion, pourtant cette simple disparation semble compromettre cette équilibre et virer au complot à l'échelle planétaire… Si à premier abord, l’univers exposé semble n’être qu’une énième création creuse de SF qui oppose sans aucune réelle subtilité les rapports entre humains et androïdes (comme nous avons pu vu le voir avec le très inégal The creator), il s’avère beaucoup plus malin. On remarque bien évidemment que les deux scénaristes n’ont pas hésité à puiser dans une quantité astronomique de références cinématographiques mais aussi vidéoludiques de la SF. Ils empruntent à Blade Runner, Ghost in the shell ou encore 2001 sans jamais tomber dans le plagiat, le cliché ou la caricature. La cité martienne Noctis entremêle ainsi architecture rétrofuturiste, voitures volantes, androïdes en tous genres, laboratoires informatiques et j’en passe. Bref un monde cohérent d’une richesse inégalable, un vrai régal visuel qui ravivera l’esprit geek en chacun de nous.
©Everybody On Deck et Je suis bien content
Et le vrai coup de maître c’est de faire exister dans cette espace où la technologie est omniprésente une enquête digne des plus vieux films noir, en privilégiant le polar sobre à l’action hollywoodienne. Périn et Sarfati jouent avec les codes grisants du film d’enquête pour nous servir une intrigue aiguisée avec son lot de retournements et de scènes d’action bien nerveuses. On reconnaîtra aussi le ton déchaîné du créateur qui conjugue à la perfection l’action violente, quoique moins assumée ici, à un humour bien dosé comme dans Lastman. On est happé du début à la fin par ce jeu de pistes condensé en moins de 1h30 (autant dire qu’on ne s’ennuie jamais) dont la continuité logique est implacable et en aucun cas extravagante. Même si la trame reste crédible et réaliste, le scénario s'éparpille parfois vu le nombre de thématiques qu’il essaie de traiter en si peu de temps (humanité des robots, trafic de drogues, complots des corpos, tueurs transhumanistes et autres motifs de la SF). Il déborde d’inventivité et de genres, de messages et de questionnements, si bien qu’il en devient parfois un peu confus quant à sa direction narrative. S’il ouvre la porte à une multitude d’intrigues, il ne parvient pourtant pas à les rejoindre vers une unique fin cohérente. Même si je trouve que le final existentialiste se détache de manière intelligente du registre utilisé tout le long, cet impression de non aboutissement du récit pourra certainement en décevoir certains.
Mais la force de cette tournure réside aussi dans le soin et la finesse apportés à l’écriture des personnages. L’objectif ici n’est pas de présenter les protagonistes comme des héros, Aline et Carlos étant des détectives torturés et dépassés : une alcoolique antipathique et un défunt au passé conjugal violent. On suit plutôt leur évolution dans un monde où l’Homme est devenu lâche, menteur et paresseux et où les robots semblent plus vivants que leurs créateurs. Pourtant, au fil de l’enquête, on en apprend plus sur leur passé et leurs motivations qui révèlent peu à peu une once d’humanité et de raison chez ces personnages, qui possèdent entre leur main le destin même de toute une civilisation. Leur développement est sincère, leur destin n’est pas prévisible ou déjà vu, si bien que l’on souhaiterait vraiment les connaître davantage, compte tenu de l’expédition plutôt rapide du scénario. En prime, le doublage est de très de bonne facture (Léa Drucker et Daniel Njo Lobé franchement à l’aise dans leurs rôles) servie par une écriture des dialogues plutôt habile, avec un traitement cynique et un humour noir mordant dont on ne se lasse jamais.
Aline Ruby et Carlos Rivera interprétés respectivement par Léa Drucker et Daniel Njo Lobé ©Everybody On Deck et Je suis bien content
Et bien évidemment comment parler de Mars Express sans mentionner le travail remarquable qui a été réalisé sur l’animation. Toujours Mikael Robert aux commandes (directeur artistique derrière Lastman et Crisis Jung), on retrouve cette patte artistique singulière épurée qui sublime ces décors futuristes flamboyants et ce rapport à l'organique toujours très proche du cinéma de Cronenberg. La confection hybride (3D/dessins manuels) se rapproche étroitement de la thématique humain/machine pour laisser place à une mise en scène astucieuse : l’animation reste furtive dans les moments de calme pour mieux exploser dans les scènes d'actions au travers d’un maniement très dynamique de la caméra. Quel plaisir aussi de retrouver la bande originale de Fred Avril et Philippe Monthaye, dont les sonorités électroniques éthérées immergent le spectateur dans cette énergie cyberpunk (mention spéciale au titre Exode des robots, qui épouse à merveille la poésie et la force du final).
Sortir aujourd’hui des projets d’animations aussi audacieux sur les grands écrans français devient de plus en plus risqué compte tenu de l’audience visée. Pourtant Mars Express est bien la preuve qu’il faut davantage faire confiance à ces réalisateurs prometteurs. Le pari est au final bien plus que réussi : Jérémie Périn sait toujours aussi bien écrire ses personnages et rythmer ses histoires. Enfin une nouvelle dystopie intelligente (genre plutôt timide en France) mêlant cyberpunk et sujets contemporains de notre société. Si l’on peut croire au premier abord qu’elle dévoile une vision assez manichéenne sur l'évolution de la technologie, elle se révèle beaucoup plus subversive et réfléchie par la quantité d’idées existentielles qu’elle exploite et de notre dépendance à la technologie qui pourrait bientôt devenir aliénante. Mais c’est avant tout un film d’animation pour adultes qui apporte un vent de fraîcheur et de renouveau dans le genre, que l’on avait pas vu depuis un bon bout de temps. Lors de l’avant première, les deux scénaristes exprimaient leur frustration à l’égard de la SF aujourd’hui, on ressent donc vraiment cette ambition de mettre au goût du jour une recette vu tellement de fois auparavant. Avec Mars Express, malgré un premier visionnage satisfaisant mais plutôt incertain, j’ai enfin l’impression d’avoir vu une œuvre de SF certes très référencée mais qui s'éloigne des sentiers battus et d'une écriture modeste, tout en proposant une exécution captivante. C’est le genre de proposition originale que j’aime voir au cinéma, qui manque cruellement aujourd’hui mais surtout qui mérite davantage de reconnaissance. En tout cas, c’est vraiment une pépite d'animation qui vaut le coup d’œil et sa place dans la paysage francophone. Férus de SF, foncez les yeux fermés, quant aux autres, attendez-vous à une surprise franchement divertissante.
Par Syméon Guillon
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