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Wicked de Jon M. Chu : Un spectacle humain à taille de géant

  • Emilia Tatin, Stella Parisi
  • 31 janv.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 3 févr.

Si Broadway nous a fait rêver, Jon M. Chu nous fait voyager dans le monde fantastique de la cité d’Oz dans lequel animaux et humains vivent en harmonie. On y découvrira la tragique et pour le moins magique histoire d’amitié entre les sorcières G(a)linda, délicate et adulée de tous, et Elphaba se distinguant par son fort caractère et son atypique peau vert émeraude.



Visuellement Wicked est un régal. Les décors du film respectent tout à fait l’univers du Magicien d’Oz, tout en se permettant une touche de modernité, et l’ajout de quelques  clins d’œil par-ci par-là en souvenir du film de 1939. Les décors oscillent entre l’immensité de la cité d’Emeraude et les paysages extérieurs, nous faisant ainsi entrer dans un tout autre univers. Il est rare de trouver une comédie musicale avec un univers propre pour des raisons de budget et de crédibilité sur scène. Mais cela,  Wicked le fait à merveille, faisant rêver les spectateurs grâce à un monde où les animaux sont les amis des humains. Les décors grandeur nature du film contribuent d’ailleurs sans aucun doute à cette atmosphère magique et singulière. Wicked devient alors un véritable voyage vers un espace-temps merveilleux accessible uniquement grâce à la magie du cinéma. Ici, chaque détail a son importance, des décors jusqu’aux costumes. Les tenues des personnages (inspirés de l’esthétique victorienne) sont un reflet de leur personnalités, ce qui est particulièrement visible sur nos deux héroïnes représentant le bien et le mal à travers les couleurs qu’elles portent.


Le plus impressionnant dans le film est la manière dont il préserve l’essence théâtrale tout en exploitant les possibilités offertes par le cinéma. Un phénomène qui soulève l’enthousiasme du monde entier tant par la popularité de l’oeuvre qu’il adapte (Wicked étant la 6ème comédie musicale à être restée le plus longtemps à l’affiche de Broadway) que pour le choix de son casting de stars. Le projet ayant mis pas moins de 8 ans à se concrétiser, le choix des comédiens s’est révélé délicat . Nick et Joe Jonas, Lady Gaga, Amanda Seyfried, Amy Adams ou encore Shawn Mendes ont tous été envisagés pour faire partie du projet, laissant finalement la place aux non moins rayonnant.e.s Ariana Grande, Cynthia Erivo, Jonathan Bailey et Jeff Goldblum, dont les performances ont toutes été généreusement acclamées par la critique et la foule. Et qui de mieux pour jouer Glinda qu’Ariana Grande ? Ayant repris le son « Popular » en compagnie de Mika en 2012, la chanteuse signait déjà pour le rôle bien à l’avance. -A noter que les deux protagonistes ont exigé chanter en direct pendant le tournage offrant plus d’authenticité dans le film mais surtout dans le jeu, et ça se ressent !-  L’intérêt des acteurs et leur amour transpire l’investissement transmis à travers leurs personnages, trahissant les sentiments très forts qui lient chacun à l’univers d’Oz. Un des points forts de cette adaptation réside également dans l’hommage qu’il rend minutieusement à l’univers de son parent Le Magicien d’Oz de Victor Fleming (à commencer par sa scène d’ouverture dans laquelle on retrouve d’emblée les quatre protagonistes mythiques), ayant une place très particulière dans le cœur des cinéphiles si bien férus de comédies musicales que de cinéma fantastique. Avant d’être un spectacle XXL, digne d’un blockbuster, à vocation extraordinaire par ses qualités esthétiques, Wicked n’en reste pas moins une déclaration d’amour au genre de la comédie musicale et témoigne d’un point crucial de sa nature en tant qu’art d’hommage et de références.


Les chorégraphies et séquences musicales sont filmées avec fluidité, nous offrant des plans grandioses qui exploitent l’ampleur des décors, tout comme des plans intimes, un choix risqué mais apprécié mettant ainsi en valeur les émotions des personnages et créant une « bulle » autour du spectateur avec le film. On nous offre une palette de couleurs variées, allant des tons sombres aux éclats dorés qui fait écho aux thématiques de l’histoire. En effet, même en étant touchés par une belle histoire d’amitié et d’amour en musique, cette même intrigue comporte également un aspect plus sombre, s’apparentant grandement à notre réalité.

 

Pour illustrer cette idée, on constate dans un premier temps un développement des personnages déjà très généreux dans cette première partie. Ce développement sera en partie responsable du sentiment de hâte inarrêtable ressenti une fois la fin du film si vite arrivée, étonnement pour un film de 2h40. Un des points positifs du film étant de ne faire ressentir aucune longueur par un dosage frôlant la perfection entre dialogues et passages musicaux. Cette version en deux parties (par conséquent deux fois plus longue que la comédie musicale qu’elle adapte) prend le temps de nous introduire son univers ainsi que ses nombreux personnages et de développer chacune de leurs particularités, nous permettant de mieux saisir tous les enjeux de l’histoire. Ces mêmes personnages, des protagonistes jusqu’aux rôles secondaires, sont représentés ici en vue panoramique, n’omettant jamais leur part d’ombre après nous avoir démontré une qualité, ayant comme effet de grandement atténuer leur manichéisme initial dû au combo comédie-musicale couplé de l’aspect blockbuster qui fait la nature du film.


Si le développement de l’histoire va avoir comme effet de favoriser l’assimilation aux personnages, il va également ouvrir la voie vers une multiplicité d’interprétations politiques, aussi bien qu’anthropologiques. Tout d’abord, à travers la construction complexe de l’amitié entre les deux protagonistes que tout semblait séparer, Wicked semble avoir l’ambition d’interroger la notion de vérité, de bien et de mal. Il témoigne également avec une précision grandiose, bien que parfois exagérée, de la cruauté de l’être humain en tant qu’être sociable, la masse faisant preuve d’une naïveté et d’un conformisme poussés à l’extrême jusqu’à en devenir monstrueux. Il peut également être interprété comme une critique des classes dirigeantes qui détiennent le pouvoir de lancer et de transformer les rumeurs de manière à progressivement les encrer comme des vérités dans les mémoires. Le film apporte une illustration de la dictature, de la propagande et de l’injustice, faisant appel à des principes qui nous sont familiers et peuvent être retrouvés à certaines périodes de l’Histoire (on notera par exemple de nombreuses références à la Shoah). L’exclusion d’Elphaba met en lumière la construction du mythe de la sorcière, une métaphore qui ne pourrait être plus parlante. Repris depuis des décennies par l’idéologie féministe, on nous montre ici comment chaque femme peut être ostracisée en raison d’une particularité physique ou pour avoir osé élever sa voix un peu trop haut. Sont abordés également des sujets sensibles comme le harcèlement ou tout simplement le racisme, d’où le choix également réfléchi de prendre comme actrice principale une femme de couleur, dénonçant ainsi le problème jusque dans notre réalité. Bien sûr il est nécessaire de souligner que l’actrice n’a pas été choisie simplement pour sa couleur de peau mais principalement pour son talent. Ces différents choix artistiques représentent avec justesse une thématique chère au genre de la comédie musicale : la peur irrationnelle de l’Autre et de la différence capable d’entraîner les pires injustices et cruautés.


Avec Wicked, John M. Chu signe une des plus grandes adaptations de Broadway au cinéma en nous livrant un récit mêlant le spectaculaire et l’intime qui ne perd jamais de vue son humanité. Dans cette chorégraphie poétique où tout est plus grand, plus beau, et plus pailleté, tout est permis et les rêves les plus fous des amateurs inconditionnels de comédies musicales seront exaucés.


Emilia Tatin et Stella Parisi

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