Critique - Lumière Pâle sur les Collines de Kei Ishikawa : Le Style Pâle de Kei Ishikawa.
- Chloé Vincent
- il y a 10 heures
- 4 min de lecture
Ce que Cannes a vu que nous ne saurions voir
Lumière pâle sur les collines, sélectionné à Cannes dans la catégorie Un Certain Regard cette année, est un film écrit, réalisé et monté par Kei Ishikawa. Cette adaptation du roman éponyme de Kazuo Ishiguro publié en 1982 aborde le deuil douloureux des victimes de la bombe atomique sur plusieurs générations. Le film oscille entre le point de vue d’une femme enceinte à Nagasaki en 1952 et celui de sa fille qui, dans l’Angleterre des années 1980, tente de comprendre le passé silencieux de sa mère. Le réalisateur japonais propose un récit au potentiel dramaturgique formidable. On assiste à une multitude de points de vue sur les ravages de la bombe atomique, à travers différentes générations et surtout depuis une perspective principalement féminine, traitant avec application de la circulation des silences qui persistent autour de cet événement tragique de 1945.
Le film sort à l’occasion des 80 ans du largage des bombes atomiques sur le Japon. Si le scénario rend joliment hommage aux victimes de la guerre, la mise en scène peine à mettre en valeur son sujet.

On note, après deux longues heures de visionnage : 1° Des comédiens récitant avec exagération des dialogues mièvres 2° Une lumière faite de halos blancs et de couleurs chaudes dignes de flashbacks hollywoodiens attendus 3° Un montage interrompant continuellement les rares plans au mouvement intéressant au profit de tableaux figés et mornes 4° Un mixage abrutissant un travail de bruitage qui aurait pu être intéressant mais contraint de demeurer au second plan à cause d’une utilisation de la musique grotesque, emphatique et dégoulinante...
Qu’importe si un film n’est pas parfait dans son ensemble, disait Béla Balázs, tant qu’il contient quelques minutes de grâce. Comme le pensait également Brecht, tout peut se défendre, sauf le kitsch. Kitsch, entendu comme excès pathétique, conséquence d’un style artificiel, impersonnel. Lumière pâle sur les collines se caractérise donc par...du kitsch, du kitsch, encore du kitsch !
Il nous faut pour acquitter Lumière pâle sur les collines tenter de faire abstraction du pathos écœurant qui constitue son film et ramasser les quelques miettes de grâce que Kei Ishikawa sème par-ci par-là. Au sein de cette œuvre manquant cruellement d’un supplément d’âme, sauvons quelques plans.
Saluons la majesté avec laquelle Kei Ishikawa dépeint les objets et les décors dans des gros plans. Parsemé de jolies natures mortes, le film tisse un réseau d’inserts à la fonction métonymique. On retient un violon posé délicatement sur des jambes couvertes d’un tissu froissé ; une valise pleine de souvenirs, de cartes et de babioles, soigneusement ouverte à deux époques ou encore une nature meurtrie chatouillée par une brise à la tombée de la nuit.
Ne vous y trompez pas ! Le violon est rapidement éclipsé par la présence d’un horrible contre jour, le plan de la valise est livré au spectateur avec une musique digne d’un Disney et les grands feuillages verts se trouvent piétinés par une jeune actrice feignant une terrible émotion destinée à dicter la nôtre. Assis dans notre fauteuil, il nous faut nous dépêcher de recueillir la beauté avant que le montage ne mut l’élégance en un vilain exercice suggestif !
Peut-être est-ce là le plus grand défaut du réalisateur : plutôt que d’user de son formidable talent à suggérer, il nous abreuve d’effets audiovisuels qui amoindrissent la venue diffuse de la grâce.
Une scène seulement échappe au kitsch. Un très beau plan séquence présente la conversation entre deux hommes, en 1952, encadrés tous deux par les portes de l’université devant laquelle ils se trouvent, l’un ancien professeur, l’autre étudiant. Le vieillard ne comprend pas pourquoi on conteste la noblesse de sa génération et de ses valeurs, tandis qu’en face de lui le jeune homme refuse de continuer à glorifier cette même génération dont la mentalité a conduit sans scrupules la jeunesse à la guerre. On ressent leur pudeur contenue par leur éducation japonaise, aucun des deux hommes n’osant manquer de respect à l’autre. La caméra avance très lentement vers eux. Le conflit générationnel qui anime toute la société d’après guerre éclabousse le cadre de manière diffuse. La violence monte entre les deux hommes, tandis que le travelling avant discret continue de rendre compte de l’enfermement commun aux deux personnages, dans cet environnement qui ne leur appartient plus et au sein duquel ils sont forcés de cohabiter. Derrière eux, la forêt, première victime du drame à Nagasaki, joue le rôle du témoin silencieux des conséquences de la bombe. Enfin la mise en scène fait corps avec le récit sans le singer !
...puis la musique interrompt le silence sublime qui contraint les deux hommes et l’espace laissé au jeu pudique des comédiens se referme. C’est reparti pour un tour de mélo...
On pourrait ainsi continuer de consacrer toute notre énergie à défendre le scénario ou les quelques rares moments de parfaite maîtrise audiovisuelle de Lumière pâle sur les collines qu’on ne parviendrait seulement qu’à regretter son sabotage systématique par la caméra et la paire de ciseaux numérique de Kei Ishikawa.
Par la sélection de ce film à Cannes, voilà la confirmation d’une désagréable intuition. Il est officiellement à la mode de défendre la qualité d’un film selon la portée de son message plutôt qu’au regard de l’ingéniosité de son style audiovisuel. Or, faire passer un message au moyen du kitsch, n’est-ce pas faire de ce message un effet de mode commercial ?
Oui ! Il est important de commémorer les moments terribles de l’Histoire. Oui ! nous voulons plus de premiers rôles féminins. Oui ! nous pensons que l’art doit porter un regard accusateur sur les travers d’une société. Seulement, ce regard ne gagnerait-il pas en panache et en postérité s’il se muait en regard pensé au moyen spécifique de l’art cinématographique ?
Nous voulons le retour d’un cinéma engagé organique !
Chloé Vincent
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